Dans le cadre des conférences de l’Université du troisième âge, je viens d’assister à une présentation éloquente donnée par la petite fille de Gratien Gélinas à l’auditorium de la Résidence Soleil à Brossard.
Bien sûr, je connais Gratien Gélinas depuis mon enfance, du moins je pensais le connaître comme tous ceux de ma génération ! Le Québec a oublié celui qui a été la bougie d’allumage des humoristes, des dramaturges, des cinéastes et des grands comédiens. Celui qui a donné au Québec une vraie salle de théâtre : la Comédie canadienne. Il est mort avant d’atteindre l’année 2000. Son nom semble boudé, snobé et oublié.
Pas une rue (sauf à St-Tite), pas une salle, pas un trophée, pas un hommage ne porte son nom. Comme s’il n’avait pas existé. Absent de l’Histoire culturelle du Québec.
Pourtant, dans les années 30 et 40, il a créé le personnage de Fridolin, ce petit garçon, naïf, en culotte courte qui critiquait la société de l’époque avec humour. Il fut sans contexte le premier humoriste qui connut un succès populaire.
Son don pour la comédie le conduit jusqu’à l’écriture d’une série radiophonique qui propulse son personnage principal, Fridolin, dans le firmament des célébrités.
Gratien Gélinas, ce créateur doté d’une énergie peu commune, devient alors la première grande vedette de la scène québécoise. Stimulé par ce succès, il écrit et produit sur scène la série des neuf grandes revues musicales Fridolinons entre 1938 et 1946. Les Fridolinades le propulsèrent vers la gloire.
À la fin des années 1940, il caresse l’ambition d’écrire une pièce de théâtre, qui deviendra Ti-Coq, la première pièce véritablement canadienne-française qui soit passée à la postérité. Viendront ensuite Bousille et les justes, qu’il considère comme sa meilleure pièce, ainsi que Hier, les enfants dansaient, résolument moderne.
En ces années, ils innovaient car la dramaturgie théâtrale était absente.
Il traduisit ses pièces en anglais pour affronter le marché américain et le marché anglophones du Canada. Le marché américain s’avéra un échec à cause de mauvaises décisions de stratégies de marketing. Le marché canadien anglais s’ouvrit avec plus de compréhension.
Après avoir collaboré à l’essor du septième art au pays en présidant Téléfilm Canada. Il portera ses œuvres à l’écran et sera le premier cinéaste à tourner un film en couleur.
Gélinas retrouve le goût d’écrire une pièce. La Passion de Narcisse Mondoux qui sera son chant du cygne. En une tournée importante avec Huguette Oligny, son amoureuse de cette période de sa vie, il fera ses adieux à ses fans au Québec et en Ontario. Victime de sénilité, il s’éteint en 1999.
Créateur fascinant par sa complexité et sa profonde humanité, metteur en scène doué et auteur de premier plan, Gratien Gélinas est l’un des géants de l’histoire des arts au pays.
Son enfance fut difficile au cœur d’une famille dysfonctionnelle. Et toute sa vie sentimentale fut secondaire malgré ses cinq enfants. Même sa relation en fin de vie avec Huguette Oligny fut tumultueuse.
C’est en faisant rire ses compagnons à l’école qu’il décela son talent. Et ses textes séduisirent ses professeurs. Il accumula succès populaires et défaites financières.
Gratien Gélinas acheta un cinéma, rue Ste Catherine, pour le transformer en théâtre à ses frais, sans aucune subvention. Juste en face de la Place des Arts qui profita des deniers gouvernementaux. À sa naissance, la Comédie Canadienne présenta quelques unes des ses pièces théâtrales. Les coûts de production l’obligèrent à présenter les chansonniers vedettes de l’heure, puis à vendre son établissement au théâtre du Nouveau Monde. Ce fut la fin de la Comédie Canadienne.
Ce fut aussi la fin de cette conférence de l’UTA où j’appris ce que je viens de vous raconter. J’y découvris un géant de notre Histoire, oublié. Quelle déception.