20 avril 2025
LA SOUFFRANTE SOLITUDE DE MA MÈRE.
Ma mère est décédée à l’âge de 96 ans. Dans une institution pour semi-autonomes. Jusqu’à ce jour, elle priait constamment pour que Dieu vienne la chercher.
Elle était encore très lucide, mais son corps l’était moins. Sa hanche ne la soutenait plus depuis une malencontreuse chute. Depuis, elle nécessitait une attention constante, comme pour préparer les repas et ses soins quotidiens.
Malgré les visites de ses fils, elle souffrait et supportait difficilement la solitude. Elle qui avait été active durant toute sa vie, entourée par la famille élargie et ses amis. Elle participait à beaucoup d’activités communautaires, comme la pétanque, les quilles et celles de la Fadoq.
Elle a été très longtemps autonome jusqu’à 90 ans, puis semi-autonome jusqu’à son décès.
Les chagrins causés par les deuils de ses amis.
Mais j’aimerais vous raconter ce qui suit. Je me souviens, elle avait alors 88 ans, et m’avait confié qu’elle souffrait de solitude, qu’elle souhaitait déjà que Dieu vienne la chercher. Pourquoi ? Ses proches amies étaient décédées. Ces deuils continuaient de la hanter. Je ne pouvais imaginer comment chacun de ces décès lui avait causé un immense chagrin. Des deuils successifs !
De telle sorte qu’elle se retrouvait maintenant seule. Les journées à végéter dans son appartement de la résidence malgré son autonomie lui paraissaient atrocement longues. Sa vue commençant à faiblir de telle sorte que ses dernières amies, soient ses activités qu’étaient la lecture et la télévision, cherchaient décidément à lui fausser compagnie.
J’ai souvenance d’avoir tenté de la persuader de se faire d’autres amies de son âge. Encore lucide. D’une belle apparence. D’une conversation articulée. Encore autonome, elle arborait pourtant toutes les qualités requises pour nouer encore des amitiés parmi ses voisines âgées.
Elle avait répondu à mes arguments persuasifs que, à la suite des décès de ses amies, elle ne voulait plus tisser d’autres amitiés qui allaient partir et la laisser seule à leur tour. En lui faisant éprouver encore une grande amertume. Trop souffrant, suppliait-elle !
Elle refusa un conte de fée.
Avec un air coquin, elle me confia aussi qu’un richissime vieux monsieur élégant et courtois lui avait proposé le mariage lors d’une soirée dansante à 85 ans. En dépit des apparences et de sa bonne humeur, il souffrait de solitude lui aussi et souhaitait une compagne comme elle. Imaginez le riche prince charmant de son âge ! Et quelle belle promesse ! Pourquoi ne finirait-elle pas ses jours, à l’aise financièrement avec lui ? N’était-ce pas là, la solution à la propre solitude de ma mère ? Un vrai conte de fées lui était proposé !
Elle a tout bonnement refusé ! Incroyable, mais vrai !
La longue et pénible agonie de mon père.
Un fouillant dans ses souvenirs, elle m’a raconté la longue agonie de mon père dont elle s’est occupée pendant une près d’une dizaine d’années. Une tâche incommensurable ! Elle lui était dévouée totalement. Alors que lui, un grand malade, aigri, manifestait sa hargne envers tout un chacun et surtout envers elle en particulier. Elle est devenue une proche aidante en plein découragement, mais fidèle jusqu’à la fin. Ce fut là une période atroce de sa vie !
« Je ne veux plus revivre cela », m’a-t-elle avoué, « même avec un homme riche, courtois et attentionné. Je ne veux plus courir le risque d’être une aidante une fois de plus. Surtout à mon âge.»
Choisir la souffrance de la solitude.
Son choix me parut évident. Même si la solitude peut être voulue même a contrario. Il est donc possible de la choisir pour fuir la souffrance que peut lui imposer un autre possible rôle de proche aidante. Elle a donc choisi la solitude qui transporte aussi sa propre souffrance.
La solitude exhibe tant de nombreux visages. Elle peut être enfouie au milieu de la foule. Même un couple peut vivre la solitude. Évidemment, il y a la solitude de la personne seule. Elle peut être subie. Elle peut être voulue. Pour bien des gens, elle peut prendre la couleur d’un moindre mal. Comme ce fut le cas pour ma mère !
Avouons que son Dieu a mis bien du temps à venir la chercher.